Le 14 janvier 2011: La prise d’otage des Trabelsi à l’aéroport Tunis-Carthage

Je publie ici – enfin – un texte que j’ai écrit le 19 Avril 2011.

Ce qui m’a poussée à le publier est le congrès du syndicat des forces de l’ordre qui s’est tenu ce dimanche 3 juillet et auquel je n’ai malheureusement pas pu assister…

Voici ce que j’écrivais il y a presque 3 mois :

DEBUT ————–

Je rêve d’écrire ce texte depuis presque deux mois. Plusieurs choses m’en ont empêchée. D’abord, fallait l’écrire sans citer de noms. Ensuite, fallait trouver quelqu’un pour le publier. Les personnes que j’ai contactées m’ont généralement dit que ce n’était pas le moment ou alors que c’était dangereux sans vraiment m’expliquer pourquoi ça l’était. Alors avec une amie, nous avons décidé d’enquêter. Plus nous avancions et plus nous comprenions le pourquoi.
Puis ce matin, cette même amie m’a appelée pour me dire d’acheter le quotidien Le Temps. Elle m’a dit que c’était sorti. Journal à la main, je n’en croyais pas mes yeux. Je ne me rappelle pas avoir ressenti pareille émotion depuis bien longtemps…

A la Une du quotidien Le Temps aujourd’hui on pouvait lire :
Les BOP se défendent : « Il n’y a pas de snipers dans nos rangs »
Puis deux lignes plus bas, il y avait cette magnifique phrase : « Ceux qui ont arrêté les Trabelsi, ce sont les BAT et non l’Armée ».
Oui, à la Une du quotidien Le Temps aujourd’hui, on pouvait lire cette magnifique phrase…
Avant de faire le récit d’une journée très particulière, je tiens à remercier la journaliste Hajer AJROUDI pour ce papier, je tiens à saluer son courage… Je tiens également à remercier les héros de la nation qui l’ont défendue avant, pendant et après le 14 janvier 2011, qui continuent à le faire encore aujourd’hui. Ces héros comptent des flics, des militaires, des bloggueurs, des journalistes, des résistants politiques, des penseurs, des chercheurs mais aussi de « simples » citoyens qui se sont improvisés enquêteurs ou encore des citoyens dignes qui, en dépit de leur ignorance des coulisses, tiennent bon encore aujourd’hui en suivant cette intuition nationaliste qui ne trahit jamais.
C’est le récit d’une journée qui a changé ma vision des choses, peut-être qu’elle a changé sans que je ne le sache le cours de mon existence…
Tout a commencé par une prise de contact sur Facebook au début du mois de mars. Une personne à la recherche d’un coup de main pour divulguer certaines informations qui pourraient changer beaucoup de choses. Après quelques échanges sur le réseau social, nous sommes passés sur Skype. La personne en question m’a demandé de désactiver l’historique. Nous avons discuté un moment, j’étais impatiente de connaître ces informations.
Il faut se remettre dans le contexte parce que depuis beaucoup de bruits courent. Mais au début du mois de mars, personne n’en parlait encore. Cette personne m’a dit : « L’armée n’a pas arrêté les Trabelsi, c’est une brigade spéciale qui l’a fait, cette brigade s’appelle la BAT, Brigade Anti Terrorriste. L’arrestation ne s’est pas faite le soir comme on le voit sur les vidéos qui circulent sur le net mais en milieu d’après midi. L’armée n’était pas encore sur place. La BAT a agi de son propre chef. Il n’y avait pas d’ordres. C’était un acte patriotique où ils ont joué le tout pour le tout. » Puis la personne a poursuivi son histoire. J’avoue n’avoir pas prêté attention à tout ce qui a suivi. J’étais sous le choc. « Ce n’est pas l’Armée qui a arrêté les Trabelsi ». Cette phrase résonnait dans ma tête et résonnait encore. Je vous dis qu’il faut se remettre dans le contexte d’il y a un mois et demi.
Comme tout être humain qui se respecte, je me suis méfiée et j’ai eu peur. Une peur étrange. Je suis restée en contact avec cette personne. Cette personne qui était en mesure de m’appeler avec un numéro masqué. Ça me faisait encore plus peur. Je me demandais si je ne devais pas oublié ces quelques échanges et « reprendre une vie normale ». J’ai essayé tant bien que mal mais je n’y suis pas parvenue. Ma façon de voir les choses avait changé. J’ai commencé à analyser chaque déclaration, chaque nouvelle. C’est comme ça, il y a des échanges que nous ne pouvons pas oublier.
Puis le 9 mars 2011, pendant que j’étais avec une amie à essayer d’apporter quelque chose de positif à cette révolution, mon téléphone a sonné. C’était ma source, encore virtuelle à cette date. Elle m’a dit : « Nous avons les vidéos qui le prouvent ». Le « nous » renvoyait à ma source et son accompagnateur. Imaginez un peu la scène. C’était comme dans une fiction. Certains se seraient arrêtés là. Je n’ai pas pu. Nous sommes montées dans la voiture de mon amie et nous nous sommes dirigées au point de rendez-vous. Nous devions nous retrouver devant le centre Makni au Manar.
Nous nous sommes garées. Une voiture s’est garée devant la notre. Deux jeunes hommes sont descendus et se sont installés sur la banquette arrière. Deux parfaits inconnus. La crainte que j’ai ressentie à ce moment me revient en écrivant ces lignes. J’ai pensé : « Dans quoi tu t’es embarquée ? ». La méfiance était générale. La seule personne de nous quatre qui semblait plutôt confiante était cette source qui m’avait contactée au tout début sur Facebook. Une clé USB qu’on a introduite dans l’ordinateur de mon amie avec pour consigne l’interdiction de copier la vidéo. Je l’ai bien regretté par la suite mais avec du recul je me dis qu’une telle manoeuvre aurait détruit le contrat moral de confiance qu’on avait établi. Nous avons vu les vidéos. L’armée n’y était pas. Puis l’accompagnateur a entamé son récit. Comment ça s’est décidé, pourquoi…
Pour expliquer ce qui s’est passé le 14 janvier 2011, je vais retracer les faits qui m’ont été relayés ce jour là à travers des débris de déclarations parues dans la presse nationale et internationale. J’ose espérer qu’un jour très proche, l’initiateur de toute cette opération se décide enfin à sortir de l’ombre.
L’avocat de Seriati disait dans une déclaration que vous pouvez relire ici : « La fuite a été aussi le résultat des informations sur l’arrestation des membres de la famille Trabelsi, par certains nationalistes des forces de l’intérieur, sans prendre des consignes de personne. ». Les nationalistes en question ne sont autres que les agents de la BAT. Je me rappelle m’être tellement réjouie en lisant ces quelques lignes mais ma joie a tout de suite disparue quand j’ai observé les réactions des lecteurs. Puis j’ai réfléchi à ce que j’aurai pensé en lisant cette déclaration si je n’avais pas été mise dans la confidence. Je n’ai donc rien dit.

Quelques jours plus tard, une amie écrit sur son blog : « Seriati, coupable malgré lui ? ». Mais là aussi, certains commentaires me dépriment. Certains iront jusqu’à la traiter d’RCDiste.
Puis il y a eu Le Monde, média d’une autre pointure cette fois, qui titre : « La chute du régime Ben Ali racontée par le chef de la garde présidentielle ». L’article est repris par Nawaat. On y lit les déclarations de Seriati dont je reprends une partie :
”Lorsque nous nous sommes rendu compte de la fin des réserves de bombes lacrymogène, déclare-t-il, j’ai été chargé de contacter certaines connaissances de la sécurité libyenne, qui nous a envoyé le jour même, le 14 janvier à 10 heures, 1 500 pièces (…). 10 000 unités avaient déjà été commandées – à la France – , et cette commande devait arriver le 15 janvier.”
”Sur instruction du président, précise-t-il un peu plus loin, j’ai demandé au général Rachid Ammar – chef de l’état-major de l’armée – de faire amener les blindés qui se trouvaient à Zarzis…“

” Marwane Mabrouk – gendre du président – m’a contacté le 13 janvier au matin pour me dire qu’un conseiller sécuritaire du président Sarkozy, Bernard Squarcini, l’avait informé qu’un putsch était en train de se préparer à Tunis, sans autre détail. Je lui ai demandé s’il en avait parlé au président, il m’a dit qu’il l’avait fait. “
Dernière révélation démentie par Bernard Squarcini contacté par le journal Le Monde.

Pourtant, les bruits qui courent encore actuellement confirment la théorie du pusth déjoué. Pour ceux qui aiment les détails, un Putsch est une « tentative réussie ou non de conquête du pouvoir politique de nature inconstitutionnelle ou illégale, fondée sur l’usage de la force (exemple: Pinochet au Chili en 1973) ou de la menace de la force (exemple: Coup de Prague en Tchécoslovaquie en 1948). Généralement, un coup d’État ou un putsch est mené par un groupe restreint de militaires. Une révolution alimentée par des mouvements de masse ne constitue pas un coup d’État ou un putsch. Un coup d’État ou un putsch survient dans une société lorsque les institutions sont en crise ou en difficulté et qu’elles semblent incapables de définir des solutions consensuelles. Cette situation peut également provenir d’une armée trop puissante, capable de s’imposer aux autorités civiles et de court-circuiter les processus décisionnels constitutionnels. »
Revenons aux déclarations de Ali Seriati parues sur Le Monde.
En parlant de la matinée du 14 janvier il dit :
” j’ai informé le président des événements des dernières vingt-quatre heures en lui communiquant le nombre de 28 tués par balles, et indiqué qu’il y avait huit cas à Tunis et El-Kram – commune proche du palais – (…). Je lui ai dit aussi que la journée allait être difficile du fait que les 6 morts au Kram seraient ensevelis vendredi après la prière, et que cela constituait une menace grave. Il m’a alors chargé de contacter qui de droit pour ne pas informer l’opinion publique du nombre de tués et pour donner à chaque famille 5 000 dinars – 2 500 euros – . Il m’a demandé de coordonner cela avec le gouverneur de Tunis, et un montant de 40 000 dinars a été versé. “
” J’ai reçu un appel du secrétaire général du RCD – parti au pouvoir – me disant : est-ce qu’on doit faire sortir les RCDIstes qui sont présents au siège ?, affirme-t-il. Je lui ai demandé combien ils étaient, il m’a répondu 600. Je lui ai alors conseillé qu’ils restent à l’intérieur du RCD pour le défendre éventuellement plutôt que de sortir et d’affronter un nombre de personnes bien supérieur au leur. “
Puis il y a eu cette prise d’otage des Trabelsi aux alentours de 15h00 par les agents de la BAT. Personne n’en avait donné l’ordre. Et les agents qui jouaient le tout pour le tout, avaient semé une pagaille monstre aux plus hauts rangs de l’Etat en lâchant le mot « Ta3limét » (Ce sont les ordres). Personne n’arrivait à remonter au donneur de ces ordres. Je pense que l’Armée soupçonnait Seriati et que Seriati soupçonnait l’Armée, que dans la panique et le flou, Ben Ali est parti prenant la place de Seriati dans l’avion, Seriati qui devait accompagner la famille du Dictateur en Arabie Saoudite comme il l’explique au journal Le Monde. »
Des milliers de manifestants devant le Ministère de l’Intérieur, un groupe de nationalistes qui arrêtent les Trabelsi de leur propre chef pour faire pression sur le Dictateur afin de l’empêcher de poursuivre le massacre et tous les plans tombent à l’eau. La suite est racontée par le chirurgien Borhane Ben Khiria dans une note sur Facebook sous le titre : Le 14 janvier, un jour du destin.

Je sais que je n’ai apporté rien de nouveau par ce récit, je n’ai fait que rassembler des informations qui ont déjà été révélées au grand public. Comme moi, vous avez probablement suivi cette affaire de très près, sauf que vous n’avez certainement pas pris le recul nécessaire pour les rassembler comme on rassemble les pièces d’un puzzle. Et puis, vous n’avez pas vu la vidéo qui prouve que l’armée n’était pas sur place lors de l’arrestation des Trabelsi. Je pense que de l’avoir vue change la perception et dissipe les doutes que j’aurais pu avoir en lisant toutes ces informations.
Je continue avec certains amis à enquêter sur ce qui s’est réellement passé et sur ce qui a conduit à ce 14 janvier. S’il y a eu un coup d’état déjoué par pur hasard grâce à la volonté et au courage du peuple tunisien, nous le saurons un jour et peut-être beaucoup plus tôt que prévu.
J’avais rencontré un membre de la commission d’enquête il y a quelques jours. Je lui ai demandé pourquoi on ne parlait pas de ce qui s’est passé le 14 janvier à l’aéroport ? Je lui ai demandé pourquoi on ne parlait pas de la BAT ? Je lui ai dit que j’ai vu les vidéos et que je ne suis pas la seule. Je lui ai demandé pourquoi les discours officiels se contredisaient par rapport aux snipers ?
Je n’ai eu aucune réponse… Elle s’est défilée…

Le peuple Tunisien a réussi par sa grandeur à arracher tant de victoires et en dépit de toutes les pressions implicites que certains tentent d’exercer, son discernement reste encore inébranlable malgré une crainte très légitime de l’avenir. Mais l’avenir, c’est nous qui le faisons car quand le peuple décide un jour de vivre, le destin doit se plier à sa volonté.
إذا الشعب يوما أراد الحياة فلابد أن يستجيب القدر
———————— FIN ———————-

Je rajoute cependant une réflexion : Il y a exactement deux semaines, la veille de son procès, le dictateur Tunisien déchu s’exprimait pour la première fois  à travers son avocat par le biais d’une lettre remise à Reuters. Dans cette déclaration, remise également à la cours, il affirme ne pas s’être enfui.

«  »Ali Seriati, le directeur général en charge de la sécurité du président, est entré dans le bureau du président Ben Ali pour l’informer que des services de renseignements amis avaient confirmé que l’un des membres de la garde républicaine était chargé d’assassiner le président de la république. »

«  »La situation dans la capitale tunisienne était dangereuse et hors de contrôle. Le palais présidentiel à Carthage et sa résidence de Sidi Bousaïd étaient encerclés. Comme un hélicoptère survolait la zone et que des sentinelles patrouillaient le littoral entre le palais présidentiel et sa résidence privée, il lui a demandé de permettre à son épouse et à ses enfants de partir dans l’avion prêt à décoller pour Djedda. Ali Seriati est revenu et a insisté sur le fait que le président accompagne sa famille à Djedda pour quelques heures afin que les services puissent déjouer le complot et assurer la sécurité du président »

« Mais, à son arrivée à Djedda, l’avion est reparti à Tunis sans l’attendre »

Et la question que je me pose aujourd’hui est la suivante : Pourquoi est-ce qu’aucun média tunisien ne s’est intéressé à cette déclaration et n’a tenté d’en analyser le contenu ? Les média en Tunisie sont-ils enfin libres ? Ou n’est-ce qu’un mirage ?

 

Certains me diront qu’on s’en fout du passé et que seul l’avenir compte… Je ne suis pas du même avis, car pour pouvoir construire l’avenir sur de bonnes bases, nous avons besoin de comprendre le passé.

Ben Ali est un monstre, mais s’il n’était pas le seul ? Si des monstres encore pires que lui sont encore parmi nous à tirer les ficelles de notre pays ?

Et puis, qui sont les snipers ?

To be continued…

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